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Emotions à corde tendue

Nous sommes en septembre 1990, à quelques jours de ce 5 octobre où j’aurai la joie de me tenir debout ausommet de l’Everest, mais je ne le sais pas encore. Dans l’immédiat je suis au deuxième camp d’altitude, à6500 mètres dans la combe ouest, un glacier en faux-plat qui s’élève progressivement sur plusieurskilomètres. Devant moi, vers l’amont, s’étend le fond de ce bassin glaciaire et se dressent les pentes quidonnent accès au Col Sud. Le troisième camp se situe à 7470 mètres sur un petit replat dans cette face, lequatrième et dernier au Col Sud, à presque huit mille mètres. Les pentes qui y conduisent sont assezuniformes et ne présentent pas de difficultés particulières, sauf entre les camps III et IV, où l’on franchit deuxpassages plus techniques : l’Eperon des Genevois et la Bande Jaune. Toute la pente a été équipée en cordesfixes, qui constituent la plupart du temps une sorte de « ligne de vie » principalement utile pour sécuriser laprogression et, pour ces deux derniers passages, facilitent le franchissement. Si je regarde vers l’aval, je voisla Combe Ouest descendre doucement jusqu’au Camp I à 6065 mètres, puis rien d’autre que des paysagesplus lointains, le Pumori, le Tibet, car au-delà du Camp I le glacier plonge brusquement : c’est l’Icefall,chaos glaciaire qu’il nous a fallu remonter au départ du Camp de Base à 5380 mètres sur le Glacier duKhumbu. Mon ami Marc Batard m’a demandé de superviser l’organisation de cette expédition qui a pour butde lui permettre de réaliser un nouvel exploit sur cette montagne. Parmi les personnes qui se sont jointes ànous, un ami de longue date, Yves Le Bissonnais, avec qui j’ai vécu de belles histoires, notamment sur laparoi du Ketil au Groenland. Yves est handicapé depuis l’âge de 17 ans, sa jambe gauche est amputée audessusdu genou. Il marche, grimpe, skie avec une prothèse. C’est un sportif accompli et un excellentalpiniste.   En cette fin d’après-midi, j’entends tout à coup sur mon walkie-talkie un appel d’Yves : il est quelque part audébut de la longue traversée qui mène au Col Sud après les deux passages difficiles, il vient de faire unechute, une glissade entre deux cordes fixes, sa voix traduit beaucoup d’inquiétude, il est seul et fatigué parneuf heures de progression sans oxygène depuis le Camp III, il doute de parvenir au Camp IV sans aide ouassistance, la nuit est en train de tomber. Aussitôt Marc est présent sur les ondes, depuis le Camp de Base ; ilcherche à aider Yves mais il est loin et ne peut avoir aucun contact visuel. Il y a une grande anxiété dans savoix et je crains qu’elle aggrave l’inquiétude d’Yves. De là où je suis, je ne peux voir Yves autrement quecomme un petit point dans le lointain, même à la jumelle, mais c’est déjà très différent : le contact radio peutêtre renforcé par un contact visuel. De manière assez autoritaire, je demande à Marc de ne plus se mêler dece problème, et j’exige d’être le seul interlocuteur d’Yves. Rien de pire qu’une situation déjà difficile où nulne sait très bien qui parle à qui et qui s’occupe de quoi. Deux choses me semblent urgentes : prévenir le ColSud pour que quelqu’un se prépare à descendre à la rencontre d’Yves ; accompagner Yves dans sa montée.Prévenir le Col Sud, c’est assez vite réglé. A partir de ce moment, je donne quelques indications pratiques àYves (ce qu’il va rencontrer, comment sont les cordes fixes, etc) mais surtout je ne le lâche plus : la nuit esttombée, son inquiétude risque de monter en flèche, il se sent vulnérable et il m’importe de toujours rester encontact avec lui. Lorsqu’il avance, sa lampe frontale éclaire son chemin et je ne peux pas le voir. Pour savoiroù il est et sentir comment il vit la situation, pour pouvoir l’informer de son avancée et ainsi le rassurer, je luidemande de temps à autres de tourner sa lampe vers moi afin que je le localise et nous avons un courtéchange par radio. Puis je réalise que ces arrêts, sortir la radio, parler, sont pour lui une contrainte et un effortsupplémentaire. Pour en faire l’économie, puisqu’il a la radio allumée sur lui et qu’il peut m’entendre, je luiERIK DECAMP 2015 1demande simplement de tourner la tête vers moi de temps en temps. La rapidité avec laquelle il réagitm’informe de son état de fatigue et pourrait m’alerter sur une situation de détresse plus grande. Je le tiens aucourant de sa progression, ainsi que de celle des alpinistes venant du Col Sud à sa rencontre. Puis larencontre a lieu, Yves arrive au Col Sud sain et sauf, il vient d’atteindre l’altitude symbolique des 8000mètres !   Voici ce qu’il m’en dit aujourd’hui, lors d’un échange de mail que nous venons d’avoir au sujet de cetépisode : « Quand j'y repense aujourd'hui, le souvenir est toujours très intense (mais peut être faussé ?) : ilme semble que mon appel était à la fois un message d'information : "vous voyez, je suis presque arrivé au colsud" et un appel "au secours, aidez moi, je suis en difficulté" et j'ai souvenir d'avoir ressenti une certainefierté naïve en entendant le ton incrédule de ta voix se demandant ce que je faisais là-haut tout seul et enmême temps un grand soulagement de savoir que j'avais pu prévenir de ma présence et d'entendre le tonrassurant de ta voix me donnant les conseils pour rejoindre le camp au col : les deux ont dû me booster pourarriver à bon port ! ».De mon côté, lorsque je repense à cet événement et à ses ressorts, il y a bien sûr avant tout cette relationamicale entre Yves, Marc et moi, assortie d’une confiance qui a donné de la clarté à nos interactions. Il y aaussi pour moi un tressage intime entre notre capacité à comprendre ce qui se passait, la circulation de nosémotions et l’importance de donner à ce qui nous reliait le plus de matérialité possible : être à vue, se parler,pouvoir s’envoyer des signes ont été déterminants. Il fallait cette matérialité pour rendre efficace lacirculation des émotions et la communication entre nos intelligences de la situation. J’y vois l’inséparabilitéde la raison, du corps et des émotions.   Pour vous permettre de mieux saisir les origines de cette vision des choses, je dois vous dire quelques motsde ce qui m’a fait « entrer en alpinisme » lorsqu’à 18 ans 1/2 j’ai intégré l’Ecole Polytechnique. J’avaisrencontré le milieu montagnard grâce à mes parents qui nous y emmenaient en vacances, mon frère et moi,dès notre plus jeune âge, en été comme en hiver. Depuis Paris, à cette époque les destinations les plusproches se situaient du côté du Jura et bientôt du Chablais ou nous nous rendrions plusieurs années de suite,et où une grande partie de mon attachement s’est construit. Montagne verte, habitée, « montagne à vaches »comme on dit, fleurie, odorante, travaillée par l’homme. Encore aujourd’hui l’odeur des foins est pour moiune fenêtre ouverte sur l’enfance. Est-ce en partie une nostalgie d’enfance qui nourrit cet ancrage sipuissant ? Sans doute. Sans doute est-ce pour cela que cette phrase de Mauriac me touche sans que je mel’explique : « L’amour de la montagne c’est l’enfant en nous qui ne veut pas mourir ». Puis il y eut undeuxième temps, celui de l’attirance pour la haute-montagne et la verticalité, dont je ne sais d’où il est venu.Pas d’un membre de la famille, pas nourri d’une lecture ou d’un récit (improbable absence, quand je vois lenombre d’alpinistes inspirés par la lecture des romans de Frison-Roche ou des récits d’Herzog). Desrencontres étudiantes facilitèrent mes premiers pas, pendant les années de classes préparatoires : un amiparisien au pas sûr et très « montagnard » qui m’a communiqué le rythme de la marche, un ami grenobloisdont la famille fréquentait les glaciers et le complice normand avec qui, pendant trois ans, je ferais les toutespremières escalades sur les falaises de la Seine, et les premières longues voies du massif du Mont-Blanc. La« grimpe » était pour moi la grande découverte, en falaise, à Fontainebleau. Le mathématicien en herbe quej’étais alors avait ressenti la saveur et le plaisir de la « démonstration élégante », celle qui nous permet detrouver au problème le plus difficile possible la réponse la plus aisée possible. Je retrouvais cela en escalade :ERIK DECAMP 2015 2se confronter à la difficulté, et trouver à la franchir avec la plus grande facilité possible, au moins enapparence. Le large sourire espiègle de celui qui, arrivé en haut du bloc qui nous avait opposé une faroucherésistance, dit : « c’est débonnaire ». C’est cette recherche constante du plaisir que procure le fait de se sentirà l’aise dans la difficulté, du plaisir de l’effort intense sans douleur destructrice, qui me fait me considérer, entant qu’alpiniste, comme un « paresseux paradoxal » qui ne rechigne pas devant l’effort et l’entraînementpour peu qu’ils permettent d’accéder à la réalisation « élégante » des objectifs les plus ambitieux.   Mais il y eut très vite autre chose que cette jouissance quasi-intellectuelle, quelque chose de plus essentiel :ce que cette pratique, cette discipline (l’escalade, l’alpinisme) demande d’engagement simultané, et à partséquivalentes, de la raison, du corps et des émotions. J’avais jusque-là un vécu qui privilégiait la raison (lalogique, la résolution de problèmes, la pratique des mathématiques), je n’avais aucun goût particulier pourles activités sportives et je n’étais sans doute pas très assuré de l’usage approprié de mes émotions - àsupposer qu’on puisse l’être un jour. Et je venais de trouver là l’assise d’un équilibre qui me permettrait deprendre l’élan auquel j’aspirais. Trois pieds sur lesquels se tenir. L’évidence de la raison, c’est celle de lapréparation d’une sortie, de l’évaluation des difficultés qui nous attendent, de décisions à prendre, des choixà faire pour emporter dans son sac à dos ce qu’il faut mais surtout pas plus. L’évidence du corps c’estl’exigeante technicité qu’il faut acquérir, l’omniprésence de l’effort physique, l’expérience de l’inconfort etparfois de la douleur. L’évidence de l’émotion, c’est en premier lieu de constater que le même enchaînementde gestes, d’équilibres et de déséquilibres plus ou moins précaires, n’est absolument pas vécu et accompliavec la même tranquillité selon que l’on est à 1, 10, 100 ou mille mètres au-dessus du sol. L’évidence del’émotion, c’est aussi cette moiteur des mains à l’approche d’un passage que l’on craint, cette accélération durythme cardiaque lorsqu’un bruit inquiétant entre dans le champ auditif avant que l’on ait pu en identifierl’origine, cette reprise en main de soi par la respiration lorsque dans un passage d’escalade la précarité de nosappuis nous fait trembler et nous rend aveugle au point de ne plus voir les prises. L’évidence de la relationentre le corps et les émotions, c’est par exemple ce que nous appelons le « mal des rimayes ». La rimaye estcette crevasse qui raye la base de toute face raide, résultat du cisaillement provoqué par l’écoulement duglacier. Elle est souvent difficile à franchir et constitue le premier obstacle sérieux de l’ascension projetée.Elle est aussi le moment privilégié du conflit entre l’envie et l’appréhension. Elle devient alors parfois lethéâtre d’une surprenante somatisation des émotions : diarrhée, crise d’asthme à l’effort, qui sont les signesd’un délitement subit de notre détermination. Parfois c’est à ce moment là que notre corps nous aide, ou nousoblige, à prendre une décision qui s’avèrera la bonne : celle de faire demi-tour. Car c’est le corps qui traduiten symptômes ce que notre intellect se refusait à voir tant il était sous l’emprise d’un puissant désir : le nuagequi annonce le changement de temps, la méforme physique du moment, ou tout autre signe jusque là occulté.Nous vivons chaque jour, en cours d’ascension, des situations qui nous montrent à quel point le corps, laraison et les émotions interagissent. Un grimpeur, même s’il est plutôt cartésien comme je crois l’avoir été àl’origine, n’a pas trop de difficultés à suivre les hypothèses d’un Damasio neuroscientifique lorsqu’il insiste,dans « L’Erreur de Descartes », sur le rôle des émotions dans la prise de décision. Nous sommesquotidiennement aux prises avec des émotions qui, parfois, soutiennent notre capacité d’agir, parfois laparasitent au risque de la paralyser, et peuvent avoir un effet déstabilisant voire destructeur. De quoi parlonsnous? D’une émotion esthétique qui face à tant de beauté peut faire oublier le danger. D’un enthousiasmeERIK DECAMP 2015 3aveuglant qui oblitère notre attention. D’un trompeur sentiment de maîtrise. D’une perte de confiance en soiqui fait trembler. De la frustration d’un échec. De la peur et de ses déclinaisons.   Pourtant, dans le réseau de ces complexes interactions nous ne sommes pas seuls. Je me souviendrai toujoursde quelques mots tracés dans la neige au Jannu, en octobre 1987. Je montais vers notre camp 1 quelquesdizaines de minutes derrière mon compagnon de cordée Pierre Béghin ; c’était le premier jour de l’ascensiond’une semaine qui nous permettrait d’atteindre ce sommet si impressionnant ; nous venions d’essuyer unetempête de neige durant laquelle je craignais, même au camp de base, dans cette prairie recouverte en unenuit de deux mètres de neige, l’avalanche ; nous avions vu le ciel s’éclaircir, les vents d’altitude s’installeravec force, et avions décidé de tenter l’ascension en espérant une accalmie à l’approche du sommet. C’étaitle premier jour, Pierre avait posé sur la neige mes crampons enfouis mais heureusement signalés par unbambou que j’avais planté là lors de notre dernier passage précédant la tempête. Et il avait écrit : « jecontinue ». A quoi j’ajoutai, dans la neige : « moi aussi ». Un mantra répondant à un autre mantra ? Pourqui ? Pour moi-même ? Une adresse au Docteur Coué ? Sans doute un peu de tout cela mais aussi letémoignage d’une dynamique émotionnelle entre nous qui deviendrait un facteur de succès. Commentchacun de nous renforçait l’autre. Ainsi que la matérialisation, par cet échange de mots donnés au vent, dulien qui serait pour les jours à venir celui de la corde et du destin partagé.Car c’est de lien que je souhaite vous parler. Je ne mettrai pas en avant de situation très spectaculaire, ce quim’intéresse maintenant c’est plutôt ce niveau d’alerte que nous devons avoir en permanence, sur la directionque peut prendre un déséquilibre émotionnel. Ces situations relèvent plus d’une attention aux premiers signesde dérive, que d’une « gestion » de crise majeure. Le physicien connaît ce qu’il appelle l’équilibre instable :lorsque, si l’on s’écarte de l’équilibre, la tendance naturelle est à s’en éloigner encore plus et non à revenir àla position d’équilibre. L’alpiniste connaît ce que j’appelle volontiers « l’équilibre fragile » : lorsque,évoluant sur une ligne de crête, il a vivement conscience qu’en cas de déséquilibre c’est par une chute que seprolongera sa trajectoire. Émotionnellement la situation est assez comparable. Il en est des émotions comme,je crois, de la douleur : plus tôt on les prend, plus on anticipe sur leur installation, plus grande sont leschances d’en enrayer les conséquences. Alors que si on laisse l’émotion toxique se renforcer, il sera plusdifficile d’y remédier.   Ce qui se passe entre nous dans ce registre émotionnel ressemble à ce qui se produit lorsque nousprogressons, comme nous disons, « à corde tendue ». De quoi s’agit-il ? Nous sommes encordés à deux surune arête vertigineuse, dans une pente raide ; nous avançons en même temps, je suis en amont de moncompagnon de cordée. Que se passera-t-il s’il tombe ? Si je suis trop loin de lui, s’il y a du « mou » entrenous, il aura commencé à chuter avant que je puisse intervenir et il peut fort bien m’entraîner avec lui dans sachute. C’est pour éviter ce risque que nous progressons à corde tendue : nous sommes à quelques mètresseulement l’un de l’autre, proches donc, et l’expression « corde tendue » ne signifie pas que l’on tire ou quel’on tend fortement, mais que l’on maintient constamment une légère tension qui est la matérialisation denotre présence à l’autre. Il s’agit autant d’attention que de tension. C’est cela qui nous permettra de sentir leshésitations de la progression, les à-coups qui traduisent peut-être une fatigue ou une détresse, et qui nousERIK DECAMP 2015 4permettra surtout d’enrayer à temps l’amorce d’un déséquilibre plutôt que de devoir stopper l’élan de lachute.Cette symbolique de la corde tendue, c’est celle de la matérialité de la présence active à l’autre, de l’attentionque je lui porte et qu’il sent grâce à cette légère tension de la corde. C’est, plutôt que la prétention à dénouerune crise majeure, l’attention de chaque instant qui permet de percevoir à temps l’amorce d’un déséquilibreet de l’enrayer. C’est la matérialité de ce qui me permet de rassurer l’autre parce que je l’assure et d’être plusassuré de moi-même parce que je le sens plus sûr. La corde est le vecteur privilégié qui facilite la circulationdes émotions. En même temps qu’elle nous met en relation physiquement, elle incarne le contact émotionnelet, selon que l’on est proches ou éloignés, nous pourrons plus ou moins bien exercer cette attention. Cela sejoue quotidiennement de multiples manières.Je suis avec Dominique dans une grande paroi de 400 mètres dont la partie supérieure est constituée debombements. Lorsque je grimpe ces longueurs en premier de cordée, assez rapidement je disparais de sa vue.Il ne lui reste plus qu’à suivre les mouvements d’une corde qui se faufile entre les surplombs et à imaginerque je suis bien encore au bout, quarante mètres plus haut. Il me parlera ensuite d’un sentiment de solitude,d’une inquiétude qui l’étreint. Heureusement l’escalade est assez rapide pour que cette émotion naissante nedégénère pas en détresse. Rien de tout cela n’avait eu lieu plus bas, là où nous avions toujours un contactvisuel et où nous étions toujours à portée de voix.En montagne, nous parcourons bien des terrains faciles où il ne faut pas tomber. Etant le guide, dans cespassages j’encorde mon compagnon alors même que retenir une chute serait très problématique. C’est maresponsabilité qui me l’impose, ce que l’on appelle l’obligation de moyens. Mais l’effet de la corde va bienau-delà d’une vision quelque peu « magique » de l’assurage : il s’agit au moins autant de communiquer, viala corde, une confiance en soi qui devient l’atout majeur de la sécurité.Parfois, alors même que la corde ne nous relie pas, quelque chose se produit qui relève de la même relation :une efficacité émotionnelle en l’absence de lien matériel. C’est ce qui avait rendu si fort le souvenir des motsinscrits dans la neige au Jannu : ils étaient la corde tendue entre nous. C’est ce qui avait guidé mes décisionslors de cet épisode à l’Everest. J’avais senti qu’il fallait jouer sur le fait que voir Yves reviendrait à éprouverune moins grande distance entre nous ; j’avais senti que la fréquence de nos conversations, des moments oùje pouvais voir sa petite lumière dans la montagne, était essentielle pour ne jamais laisser s’installer destemps d’absence trop longs qui risquaient d’accélérer la détresse. Jouer sur le temps, l’espace, la fréquencedes échanges, était une manière de maintenir cette « corde » tendue, afin que ma présence, même lointaine,lui soit secourable. Et ce que je ressentais aussi, c’est pour moi une plus grande tranquillité qui se répercutaitcertainement dans la qualité de ma voix, dans le rythme de mes interventions. Il y avait dans cette contagionémotionnelle une réverbération, un retour vers moi qui la rendait d’autant plus efficace. Je laisse à Yves ledernier mot. « Ce qui est étonnant dans le souvenir de cet épisode, c'est que j'avais totalement oublié que j'avais d'abordeu Marc à la radio (je ne me souviens que de l'échange avec toi), et que de ton côté tu n'aies plus le souvenirde la cause qui a déclenché mon appel (une petite glissade dans la neige sur quelques mètres, au passageentre deux cordes fixes juste avant d'arriver au replat-traversée qui mène au camp du col sud) !Mais il est certain que cet échange avec toi à ce moment là a tout à fait joué le rôle d'une "corde tendue" quim'a aidé à remonter jusqu'à la trace puis rejoindre le camp. »
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